REMARQUES SUR LA VERSIFICATION
D'APOLLINAIRE DANS ALCOOLS

par Antoine FONGARO

Le point de départ des présentes remarques est l'étude de Jean-Pierre Bobillot, «La Versification d'Apollinaire dans Alcools», qui occupe le premier fascicule de Que vlo-ve? pour l'année 1997. Ce fascicule de 48 pages équivaut à un véritable volume; chaque page y contient (si j'ai bien compté) 58 lignes de 90 signes typographiques, soit, au total, plus du double d'une page normale d'un livre. Il n'est pas possible d'étudier dans le détail1 une pareille somme, qui en outre se caractérise par sa haute technicité et sa minutie remarquable. Il faut se borner aux considérations les plus générales.

I

Scientifiquement, le seul point de vue où l'on doive se placer pour parler de la versification d'un poète, est la situation où se trouvait ce poète lui-même (ni Villon d'un côté, ni Char de l'autre, ne versifient comme Boileau, et il ne peut pas y avoir de théorie générale abstraite de la versification française). Il s'agit donc de reconstituer cette situation au moyen des données de l'histoire littéraire, de la philologie et de la biographie.
Pour Apollinaire, une première constatation d'imposé. Lorsqu'il écrit un poème en vers (ce qui est attesté par la rime, la strophe, etc.), et c'est le plus grand nombre des cas dans le recueil Alcools, il suit la pratique en usage après les expérimentations des romantiques, des parnassiens et des symbolistes. Si l'on se limite au problème de la syllabation (il serait trop long d'envisager le problème des coupes), il est clair qu'Apollinaire compte pour une syllabe l'e dit muet2 non élidé, mais qu'il ne compte pas cet e dit muet placé après voyelle et non élidé devant consonne. Il faut donc, en stricte logique, suivre cette pratique dans tous les cas, et ne jamais envisager l'apocope de l'e dit muet non élidé dans les vers qui pourraient sembler «anormaux».
Sans compter que sur ce point très précis il existe un document indiscutable :