Amour et aveu : le double registre
« J'ai guetté dans le cœur humain toutes les niches différentes où peut se cacher l'amour, lorsqu'il craint de se montrer, et chacune de mes comédies a pour objet de le faire sortir d'une de ces niches : c'est tantôt un amour ignoré des deux amants, tantôt un amour qu'ils sentent et qu'ils veulent se cacher l'un l'autre ; tantôt enfin un amour incertain et comme indécis, un amour à demi né. » L'originalité du dessein de Marivaux ne tient pas à la peinture de l'amour contrarié : la comédie de Molière a toujours pour trame deux jeunes gens qui s'aiment, mais qui se heurtent à l'opposition de la famille ou de la société. Marivaux abandonne cet obstacle extérieur : c'est en lui-même que le personnage ressent des motifs qui le retiennent de se livrer à son amour. L'évolution de son sentiment, jusqu'à l'aveu, difficile et désiré, constitue le jeu dramatique. Certes, Marivaux n'ignore pas que le mariage - qui sert d'inévitable dénouement - doit vaincre des pouvoirs sociaux, telle l'inégalité des fortunes (Le Legs, La Fausse Suivante) ou des classes (Le Jeu de l'amour et du hasard, Le Préjugé vaincu, Les Fausses Confidences). Mais « l'amour n'est en querelle qu'avec lui et finit par être heureux malgré lui ». Quand le héros en sera venu à oublier son amour-propre, fondé sur des préjugés ou des égoïsmes dérisoires, pour admettre qu'il est amoureux et le dire au grand jour, tout le débat sera clos.
Autour du couple qui cherche à s'unir évoluent des comparses, généralement des valets, qui aident les amoureux à se connaître. Comme l'auteur et les spectateurs, ils voient clair dans le cœur des amoureux et sont complices lucides et agissants. Tout le plaisir du spectacle repose sur ce
« double registre » : d'un côté « la cécité des coeurs épris sans le savoir » ou sans le vouloir, de l'autre « la clairvoyance démasquante et traductrice des personnages spectateurs et leur vision anticipatrice » (Jean Rousset, Forme et Signification,