anthologie po tique voyage
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon cœur transparent
Pour elle seule, hélas ! Cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore,
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
Verlaine
Poèmes saturniens
Nuit rhénane
Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme
Écoutez la chanson lente d'un batelier
Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes
Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds
Debout chantez plus haut en dansant une ronde
Que je n'entende plus le chant du batelier
Et mettez près de moi toutes les filles blondes
Au regard immobile aux nattes repliées
Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent
Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter
La voix chante toujours à en râle-mourir
Ces fées aux cheveux verts qui incantent l'été
Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire
Guillaume Apollinaire (1880 - 1918), Alcools
Analyse :
I- L'univers fascinant des légendes.
Ici le poème se met à l'écoute d'un autre poème (" Écoutez la chanson... " => mise en abyme).
Cet autre poème raconte une hallucination (sans doute due à l'absinthe, évoquée par les femmes aux cheveux verts, à la troisième strophe, nommées " fées ") prise comme une réalité. Ces 7 (chiffre mystique) femmes " incantent l'été ". Ces figures mystiques ont une véritable liaison avec le poète.
Cette liaison rend le lecteur mal à l'aise, ce qui est renforcé par les allitérations en v (" mon verre est plein d'un vin... "), et les voyelles nasalisées.