Antigone – Jean Anouilh Antigone parle d’une voix douce O mon frère ! Ton corps est si blanc et si torturé. Et moi, pourquoi suis-je ici ? Pourquoi suis-je venue alors que des gardes de Créon font leur ronde ? Je dois être folle, mais je ne peux te laisser ainsi pourrir. On ne distingue même plus ton visage plongé dans la nuit. Cette nuit si triste et froide. Je voulais t’ensevelir sous la terre, t’offrir les honneurs funèbres, pour que ton âme ne soit pas condamnée à rester errer dans ce monde où tu n’as plus ta place. Pourtant j’hésite, car les conséquences de mon acte seront un lourd fardeau : une princesse devrait respecter la loi de son roi, surtout de son oncle, mon rang me l’ordonne. Quel exemple montrerais-je au peuple. Ismène avait sans doute raison de ne pas m’accompagner ; elle est la voix de la raison, de la sagesse. Et moi une entêtée tel mon père Œdipe. Pourtant ma conscience me dicte de ne pas respecter cette règle qui me semble aussi stupide qu’injuste ! Je serais responsable de nombreux chagrins … Mon amour, Hémon ne me pardonnera sûrement pas. Pourra-t-il recommencer à aimer ? J’ai tellement mal de le savoir aimer une autre femme que moi. Je l’aime tellement. Comment oserais-je lui faire le moindre mal ? La vie n’est qu’une succession de choix, de devoirs ; or choisir c’est renoncer, renoncerais-je au bonheur ou à ma conscience… Si je ne fais pas ce qu’il faut pour toi (elle se tourne vers le mort en le pointant du doigt), mon frère, je le regretterai toute ma vie, je ne pourrai être heureuse en étant pleine de remords. Oui c’est un fardeau suivi d’une mort certaine et sans aucun doute affreuse (se retourne de façon à ne plus voir le défunt, elle pleure en réfléchissant). Et la souffrance de mes proches engendrée par une incompréhension. Pauvre de moi de devoir choisir entre ce qui me semble juste pour mon frère mort et ce qui me