Apologie de la raison commune
Par Oscar Brenifier
La raison commune, ou sens commun, est un concept qui n’est pas très flatteur, surtout chez les personnes qui se piquent d’intellectualisme, d’originalité ou de particularité. Lorsqu’il est invoqué, il paraît désuet, banal, ou dépourvu de toute légitimité. Il s’avère pourtant fort utile dans la pratique philosophique. Déjà parce qu’il oblige à une compréhension mutuelle : ce dont le sens n’est pas partagé n’a pas de place dans la discussion. Car si l’on peut ne pas partager des opinions et pouvoir pourtant discuter, cette différence constituant même la substance vive de la discussion, le sens, comme référence commune, se doit d’être partagé, sans quoi aucune discussion n’est possible : elle serait inexistante ou absurde.
I - Paradoxe du sens commun
Voltaire soulevait un paradoxe à propos du sens commun. Il remarquait que dire d’un homme : « Il n’a pas le sens commun est une injure, puisqu’il est ainsi taxé de folie », mais en même temps, dire d’un homme qu’il a le sens commun « est une injure aussi; cela veut dire qu’il n’est pas tout à fait stupide, et qu’il manque de ce qu’on appelle esprit ». Il en concluait du sens commun que : « Il ne signifie que le bon sens, raison grossière, raison commencée, première notion des choses ordinaires, état mitoyen entre la stupidité et l’esprit. » Le sens commun serait en effet un simple garde-fou, une mise à l’épreuve d’une pensée particulière, mais il lui manquerait l’éclair de génie, l’audace qui caractérise la singularité. Néanmoins, l’être humain énonçant plus souvent des absurdités que des paroles géniales, à commencer par ceux qui font profession d’intellectualisme, peut-être que le sens commun peut jouer un rôle positif de censeur vis-à-vis des aberrations de la pensée davantage qu’un rôle négatif de refus de l’innovation. Dans notre pratique, il nous semble qu’il en est ainsi, bien que nous admettions aussi que les schémas établis, ceux de la morale ou autre