< Chapitre 1er : QU'EST-CE QU'AGIR MALGRÉ SOI ET DE SON PLEIN GRÉ? > La vertu[1] a pour domaine passions et actions. S'y laisse-t-on aller ou les accomplit-on de son plein gré? Elles provoquent éloges et blâmes. Est-ce au contraire malgré soi? Elles ne provoquent que le pardon, quelquefois même la pitié. Par conséquent il est sans doute nécessaire, pour qui étudie la vertu, de définir assez nettement pour pouvoir les bien distinguer les actes qu'on fait de son plein gré et ceux qu'on fait malgré soi. C'est d'ailleurs également utile aux législateurs[2] pour fixer les honneurs et les peines. Or, il y a, de l'aveu unanime, deux espèces d'actes que l'on fait malgré soi : ceux que l'on fait par contrainte et ceux que l'on fait par ignorance. (Rédaction longue) Est fait par contrainte l'acte dont le principe est extérieur au sujet, à condition toutefois que ce principe soit d'une nature telle que l'agent, - ou pour mieux dire le patient, - n'y concoure en rien. Par exemple, si le vent l'emporte quelque part, ou si en font autant des hommes au pouvoir desquels il est tombé.

Mais tout ce qu'on fait par crainte de plus grands maux, ou par désir de quelque chose de beau (par exemple, si un tyran[3], maître du sort de nos parents et de celui de nos enfants, nous ordonne de faire quelque chose de honteux : si nous le faisons, ils seront saufs, si nous ne le faisons pas, ils mourront), le fait-on de son plein gré ou malgré soi ? La question est controversée. Or, nous avons pour nous aider à la trancher un autre cas qui pose le même problème : c'est celui des cargaisons jetées par-dessus bord au cours des tempêtes. Abstraction faite de telles circonstances, nul ne jette son bien par-dessus bord de son plein gré, mais pour se sauver, soi et ses compagnons, le font tous ceux qui ont leur bon sens. En somme, de telles actions sont mixtes[4]. Pourtant elles s'apparentent