CATALINON Que la Cananéenne me protège et que la mer est donc salée ! Ici celui qui veut se sauver peut toujours nager, mais là bas c'est une folie où l'on forge plutôt sa propre mort. Là où Dieu a rassemblé tant d'eau, n'aurait il pas pu rassembler autant de vin ? Eau salée, chose excessive pour qui n'est pas pêcheur ! Si même l'eau fraîche est mauvaise, que dire de l’eau salée ? Oh ! si je trouvais un bouilleur de cru, quitte à ce qu’il me serve le vin un peu trop chaud ! Si je réchappe de toute l'eau que j'ai bue, plus jamais d'eau !
A compter d'aujourd'hui, j'y renonce: elle m'ôte tellement la dévotion que je ne veux pas voir d'eau bénite, afin de ne plus voir d'eau... Eh ! Monsieur ! Il est tout glacé... Monsieur !... Si par hasard il était mort ?... La mer m’a donné cette confusion, et ce délire. Maudit soit le premier qui a semé des pins sur la mer et qui a arpenté ses rumbs avec un bois fragile ! Maudit soit le vil tailleur, cause d'un tel désastre, qui a brodé la mer avec une aiguille astronomique ! Maudit soit Jason et que Tifis soit maudit !... Il est mort, est ce possible ? Pauvre de moi, Catalinon ! Que vais je faire ?
TISBEA Homme, que ressens-tu après une telle mésaventure ?
CATALINON Pêcheuse, beaucoup de mal et absence de bien. Je crains que mon Maître soit mort pour m’avoir sauvé ma vie. Vois, si c’est vrai.
TISBEA Non, il respire encore.
CATALINON Par où ? Par ici ?
TISBEA Eh ! Par où sinon ?
CATALINON Il pourrait respirer de l’autre côté.
TISBEA Que tu es bête !
CATALINON Je voudrais baiser tes mains de neige froide.
TISBEA Va chercher les pêcheurs qui sont dans cette chaumière.
CATALINON Et si je les appelle, viendront-ils ?
TISBEA Ils viendront vite, sois-en sûr. Qui est ce gentilhomme ?
CATALINON C’est le fils du grand Chambellan du roi. J'espère que, grâce à lui, à Séville où nous nous rendons et où se trouve son Altesse, avant six jours je serai Comte, s’il me paye de mon amitié.
TISBEA Comment s’appelle-t-il ?