« Barbare » est un poème en prose, qui ne s'est pas tout à fait détaché du vers et de la strophe dont il épouse encore certains principes pour mieux les subvertir. Il s'inscrit dans une série de visions d'un désordre créateur: « Après le Déluge », « Parade »... Comme dans ces poèmes, le bouleversement s'opère à la fois dans le monde, évoqué à travers un ensemble d'images chaotiques, et dans le langage, qui se joue des règles traditionnelles. Rimbaud met en scène une poésie du chaos, où s'affrontent les éléments dans un paysage ravagé. Mais c'est de cet univers bouleversé que naît une poétique originale, « barbare » en ce qu'elle tire sa puissance créatrice du désordre lui-même. Dès la première phrase, Rimbaud situe son poème « bien après les jours et les saisons, et les êtres et les pays » : les mesures de l'espace et du temps n'ont plus cours, les êtres eux-mêmes ont disparu. Le poème met en scène le néant symbolisé par le •< cœur terrestre éternellement carbonisé pour nous »; quant aux « fleurs arctiques » qui reviennent comme un refrain, elles « n'existent pas ». Les formes verbales conjuguées, qui auraient pu ancrer le poème dans une temporalité définie, sont écartées du texte: mises entre parenthèses ou entre tirets. Seul est employé le mode participe (« les brasiers, pleuvant », « la voix féminine arrivée ») qui détache l'action de tout contexte. L'espace lui-même est disproportionné: des hauteurs et des profondeurs gigantesques se rencontrent, mêlant les « gouffres » aux « astres » et les « volcans » aux « grottes ». Il y a dans le poème une démesure du temps et de l'espace qui donne l'impression d'un chaos illimité.
| Une dynamique de la destruction
Non seulement il n'existe plus de repères, mais le poème fait œuvre de destruction violente. Les images renvoient toutes à l'anéantissement par les flammes'(les « brasiers », les « feux », les « volcans ») et par la glace (les « rafales de givre », les « glaçons », les « grottes arctiques »),