Baudelaire et le peintre de la vie moderne
Le peintre de la vie moderne
Charles Baudelaire
Calmann Lévy, Paris, 1885
Exporté de Wikisource le 17 avril 20222
III
LE PEINTRE
DE LA VIE MODERNE[1]
I. Le beau, la mode et le bonheur 51
II. Le croquis de mœurs 56
III.
L’artiste, homme du monde, homme des foules et enfant 58
IV. La modernité 68
V. L’art mnémonique 73
VI. Les annales de la guerre 78
VII. Pompes et Solennités 83
VIII. Le militaire 87
IX. Le dandy 91
X. La femme 96
XI. Éloge du maquillage 99
XII. Les …afficher plus de contenu…
Il en est de même du présent. Le plaisir que nous retirons de la représentation du présent tient non-seulement à la beauté dont il peut être revêtu, mais aussi à sa qualité essentielle de présent. J’ai sous les yeux une série de gravures de modes commençant avec la Révolution et finissant à peu près au
Consulat. Ces costumes, qui font rire bien des gens irréfléchis, de ces gens graves sans vraie gravité, présentent un charme d’une nature double, artistique et historique. Ils sont très-souvent beaux et spirituellement dessinés ; mais ce qui m’importe au moins autant, et ce que je suis heureux de retrouver dans tous ou presque tous, c’est la morale …afficher plus de contenu…
C’est à cette curiosité profonde et joyeuse qu’il faut attribuer l’œil fixe et animalement extatique des enfants devant le nouveau, quel qu’il soit, visage ou paysage, lumière, dorure, couleurs, étoffes chatoyantes, enchantement de la beauté embellie par la toilette. Un de mes amis me disait un jour qu’étant fort petit, il assistait à la toilette de son père, et qu’alors il contemplait, avec une stupeur mêlée de délices, les muscles des bras, les dégradations de couleurs de la peau nuancée de rose et de jaune, et le réseau bleuâtre des veines. Le tableau de la vie extérieure le pénétrait déjà de respect et s’emparait de son cerveau. Déjà la forme l’obsédait et le possédait.