Le Chevalier de la charrette

Ô terrible et pauvre Chevalier ! Voici que, après bien des déboires, après avoir traversé bien des épreuves et surmonté bien des obstacles, tu te sens alangui, harassé, et qu’au lieu d’avancer fièrement vers ta prochaine épreuve tu te mets à ruminer inlassablement le sens de ton existence ! Ô Chevalier dont l’existence n’est tournée que vers l’action, que te prend-il soudain ?
Le chevalier de la charrette, après avoir traversé l’épreuve du monde effacé de l’Artiste, avait sentit soudain le besoin de se reposer, de sentir les effets de son propre monde intérieur et de se laisser aller à de profondes réflexions, qui elles, il l’espérait, aboutiraient à quelque chose de concret. La poursuite de son chemin en dépendait.
Le chevalier, à travers les circonvolutions obscures de son destin, avait vu des choses terribles, et sa mémoires gardaient encore des traces de ce que le monde peut offrir de souffrances à celui qui, ne détournant pas le regard mais s’offrant à tout ce qui existe, peut parfois rencontrer. Il en avait parcouru des champs de bataille, il en avait vu des corps putréfiés, mais encore vivants, des charognes immondes qui l’empoisonnaient la nuit, le jour. Il avait bien souffert au fond de son armure d’airain. Mais ce qui le préoccupait maintenant était bien plus terrible encore.
Ce qui formait l’horizon du Chevalier, l’horizon de croyance sur lequel tout reposait, une fois le Chevalier l’avait dépassé. Une fois, tout ce qui le faisait encore à l’Aube naissante battre de ses éperons d’argent les flancs de sa monture, après avoir passé une nuit harassante en selle et en armure, le Chevalier l’avait détruit en allant voir encore plus loin, et peut-être, se disait-il aujourd’hui, trop loin. Une fois, une fois terrible, le Chevalier avait dit de ses croyances : « ce sont des illusions ». Tout le ciel de ses espérances mourut à cette seconde. Plus rien n’était, plus rien n’avait de sens. Le Chevalier vivait désormais dans un