Bohémiens en voyage
André Durand présente
‘’Bohémiens en voyage’’
sonnet de Charles BAUDELAIRE
dans
‘’Les fleurs du mal’’
(1857)
La tribu prophétique aux prunelles ardentes Hier s'est mise en route, emportant ses petits Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.
Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes Le long des chariots où les leurs sont blottis, Promenant sur le ciel des yeux appesantis Par le morne regret des chimères absentes.
Du fond de son réduit sablonneux, le grillon, Les regardant passer, redouble sa chanson ; Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,
Fait couler le rocher et fleurir le désert Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert L'empire familier des ténèbres futures.
Commentaire
«Bohémiens» est un des noms donnés aux tsiganes ou tziganes, ensemble de populations originaires de l’Inde, apparues en Europe au XIVe siècle, dont certaines mènent une vie nomade en exerçant divers petits métiers. On les appelle aussi gitans, romanichels, roms, manouches, zingaros, etc.. Leur nom de bohémiens vient de la croyance qu'on avait autrefois que ces nomades venaient du royaume de Bohême, aujourd'hui une partie de la République Tchèque. Il n'en était rien, ils étaient passés par la Bohême, comme par la Roumanie (d’où «romanichels» et «roms») et l’Égypte (d’où «Égyptiens», «gypsies»).
L’origine mystérieuse des tsiganes, leur mode de vie marginal et leur liberté rebelle alimentaient les superstitions, les fantasmes, les méfiances et les rejets (c'est encore vrai aujourd'hui). Ils étaient craints et persécutés, car ils montraient des animaux étranges, avaient la réputation de vivre de mendicité et de rapines, de n'être pas baptisés (ce qui avait une grande importance autrefois), d'être un peu sorciers et de prédire, donc de connaître, l'avenir. Dans ‘’L'encyclopédie’’ de Diderot et d'Alembert, on