Bonheur
« Le bonheur est l’état dans le monde d’un être raisonnable pour qui, dans toute son existence, tout va selon son désir et sa volonté »
Emmanuel Kant.
Concernant les rapports qu’entretiennent la morale et le bonheur, on peut se demander si Kant n’est pas une figure isolée de la philosophie, à la fois atypique dans la modernité et fort éloigné de l’heureuse vertu des Anciens. Emmanuel Kant tient en effet à l’irréductible distinction entre vertu et bonheur, qui est pour lui définitive, ceci en raison de sa conception universelle de la morale et de la liberté.
Au premier abord, la conception kantienne du bonheur peut surtout paraître ambiguë, à tout le moins quant à ses « intentions ». Le statut du bonheur connaît en effet avec Kant une re-formulation assez inédite, en un dualisme où il est possible de déceler une sorte de justification de la religion ; celle-ci est en effet la condition exclusive de la réconciliation de la vertu et du bonheur.
Mais, d’un autre côté, l’opposition kantienne entre la vertu et la prudence a pour effet (et pour principe) l’absoluité de la liberté ; au reste, Kant refuse la vertu triste, i.e. celle qui combat le plaisir. Le bonheur chez Kant est au centre d’un conflit entre notre faculté supérieure de désirer (la raison pratique) et nos mobiles sensibles. Mais parce qu’il lutte contre la « dialectique naturelle » qui pousse l’homme à confondre les rapports du bonheur et de la vertu, Kant peut-il être hâtivement taxé de rigorisme, au moment même où il attaque la bigoterie ?
Ce qui est en question, ici, c’est la portée de l’acception kantienne du bonheur. En décalage par rapport aux autres conceptions modernes du bonheur, ne constitue-t-elle pas finalement, par sa disposition critique, le moment indispensable d’une réflexion morale moderne, qui nous libèrerait du douteux conséquentialisme téléologique ? A supposer que son exhortation à distinguer clairement bonheur et vertu ne soit pas un simple