Vous me dégoûtez tous, avec votre bonheur ! CRÉON. − [...] Marie-toi vite, Antigone, sois heureuse. La vie n'est pas ce que tu crois. C'est une eau que les jeunes gens laissent couler sans lesavoir, entre leurs doigts ouverts. Ferme tes mains, ferme tes mains, vite. Retiens-la. Tu verras, cela deviendra une petite chose dure et simple qu'on grignote, assis au soleil. Ils te diront tout lecontraire parce qu'ils ont besoin de ta force et de ton élan. Ne les écoute pas. Ne m'écoute pas quand je ferai mon prochain discours devant le tombeau d'Etéocle. Ce ne sera pas vrai. Rien n'est vraique ce qu'on ne dit pas… Tu l'apprendras, toi aussi, trop tard, la vie c'est un livre qu'on aime, c'est un enfant qui joue à vos pieds, un outil qu'on tient bien dans sa main, un banc pour se reposer lesoir devant sa maison. Tu vas me mépriser encore, mais de découvrir cela, tu verras, c'est la consolation dérisoire de vieillir; la vie, ce n'est peut-être tout de même que le bonheur.ANTIGONE,murmure, le regard perdu.− Le bonheur…CRÉON, a un peu honte soudain. − Un pauvre mot, hein?ANTIGONE. − Quel sera-t-il, mon bonheur ? Quelle femme heureuse deviendra-t-elle, la petite Antigone ?Quelles pauvretés faudra-t-il quelle fasse elle aussi, jour par jour, pour arracher avec ses dents son petit lambeau de bonheur ? Dites, à qui devra-t-elle mentir, à qui sourire, à qui se vendre ? Quidevra-t-elle laisser mourir en détournant le regard ?CRÉON, hausse les épaules. − Tu es folle, tais-toi.ANTIGONE. − Non, je ne me tairai pas! Je veux savoir comment je m'y prendrais, moi aussi, pourêtre heureuse. Tout de suite, puisque c'est