Brutalisation des soldats
1 La Grande Guerre a-t-elle brutalisé les sociétés européennes ?
"La guerre brutalise les hommes, au double sens du terme : elle les atteint dans leur chair et dans leur âme, elle les rend brutaux aussi" [1]. Cette phrase résume en elle-même l'approche historiographique récente de la Grande Guerre proposée, depuis plus d'une dizaine d'années, par les historiens européens du Centre de recherche de l'Historial de la Grande Guerre, créé en 1989. Elle réside avant tout dans la volonté commune de ces historiens de s'extraire de l'historiographie de l'immédiat après-guerre et des années 1930 - "tu n'as rien vu dans les années vingt et trente" [2] - car elle a procédé, selon eux, à une histoire victimisante de la guerre, une histoire-bataille "vue d'en haut", où la violence de guerre est aseptisée, posant un "écran conceptuel" qui rend la Première Guerre mondiale et ses conséquences sur les sociétés belligérantes incompréhensibles. Les années 1970 et 1980, marquées par l'ouverture progressive des archives, correspondent au renouveau historiographique de la Première Guerre mondiale, avec notamment les thèses de J. J. Becker sur les Français dans la Grande Guerre et celle d'A. Prost sur les ancien combattants.
Les historiens s'intéressent dès lors davantage à la guerre vécue "d'en bas, celle descombattants, en privilégiant les dimensions anthropologiques et culturelles de la violence de guerre. La "culture de guerre", ce "corpus de représentations du conflit cristallisé en un véritable système donnant à la guerre sa signification profonde" [3], se trouve au cœur de cette analyse de la Grande Guerre. En effet, pour ces historiens, la question décisive posée par la Grande Guerre a trait aux "possibilités mentales" des millions d'hommes qui y ont participé. C'est dans les mentalités que la guerre a atteint son degré de brutalité sans précédent.
Cet axe de recherche a ainsi permis d'aborder l'analyse des nouvelles formes de la guerre mais aussi, et