Cahier d'un retour au pays natal
3801 mots
16 pages
Nègre je suis, nègre je resterai1 », tel est le postulat existentiel et révolutionnaire énoncé par Aimé Césaire lors d’une série d’entretiens qu’il accorda à l’historienne Françoise Vergès en 2005. Le poète est alors au soir de sa vie quand il prononce ces paroles, véritable témoignage non seulement de sa fierté d’appartenir à la culture noire mais aussi de sa volonté de protéger ce lien intime qui le rattache à ses racines afro-antillaises contre toute forme d’aliénation. Sa palabre s’ancre ainsi dans un présent atemporel à la fois actuel et originel – « je suis » sous-entendant elliptiquement « né » – pour se projeter dans un futur hors du temps, éternel, ad infinitum. Et ce faisant, Césaire met au défi quelque civilisateur que ce soit – passé, présent, futur – de lui arracher son essence « nègre », adjectif autrefois maudit dont le pouvoir expressif lui est cher car intrinsèquement imprégné et révélateur de la tragédie du peuple noir. De plus, l’incroyable fougue qui se dégage de son assertion accentue son refus de cette assimilation occidentale qui nie à la fois l’existence et la possibilité d’appartenir à une culture autre. Résistant dans l’âme et fidèle à ses convictions profondément humanistes, Césaire ne cessera donc jamais de clamer sa Négritude, hymne de la culture noire et de la fraternité universelle.
Pour Vergès, il était primordial de publier ces entretiens afin de faire entendre la parole césairienne face au regain dangereux de l’idéologie coloniale au sein de la sphère publique française2. La pensée négritudienne du « poète politique » – formule que j’emprunte àFrançois Beloux3 - constitue en effet un rempart contre la reviviscence contemporaine de la logique civilisatrice française et de ses dérives néocoloniales. C’est pourquoi il nous semble aujourd’hui essentiel de revenir aux sources mêmes de la négritude césairienne en analysant le texte fondateur de l’œuvre littéraire et politique de cette figure tutélaire, à savoir Cahier d’un retour au