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Arendt à Michel Villey, la plupart des critiques de l’idéologie des droits de l’homme en ont dénoncé l’universalisme et l’égalitarisme abstrait. Ils ont également fait remarquer qu’en dépouillant de toutes ses caractéristiques concrètes l’homme dont elle proclame les droits, cette idéologie risquait d’aboutir au nivellement et à l’uniformisation. Si l’on admet que l’affirmation des droits de l’homme vise au premier chef à garantir l’autonomie des individus, on comprend du même coup qu’il y a là une contradiction. L’abstraction des droits de l’homme est ce qui menace le plus de les rendre inopérants. La raison principale en est qu’il est contradictoire d’affirmer à la fois la valeur absolue de l’individu et l’égalité des individus dans le sens d’une identité foncière. Si tous les hommes se valent, s’ils sont tous fondamentalement les mêmes, s’ils sont tous « des hommes comme les autres », loin que puisse être reconnue la personnalité unique de chacun d’entre eux, ils apparaîtront, non pas comme irremplaçables, mais au contraire comme interchangeables. Ne se distinguant plus par leurs qualités particulières, seule leur plus ou moins grande quantité fera la différence. L’équivalence abstraite, en d’autres termes, contredit nécessairement la proclamation de l’absolue singularité des sujets : aucun homme ne peut être à la fois
« unique » et foncièrement identique à tout autre. Inversement, on ne peut affirmer la valeur unique d’un individu tout en tenant pour indifférentes ses caractéristiques personnelles, c’est-à-dire sans spécifier ce qui le rend différent des autres. Un monde où tous se valent n’est pas un monde où « rien ne vaut une vie », mais un monde où une vie ne vaut