Céline - la pourriture du monde colonialiste
•
•
•
•
Le roman de Louis-Ferdinand CELINE (1894-1961), Voyage au bout de la nuit met en scène un personnage commun, Ferdinand Bardamu, aux prises avec les grandes questions de son époque : la guerre de 1914-1918 dans laquelle il s’engage, et dont il découvre les horreurs, le colonialisme, le modernisme, le progrès. De malheur en déchéance, le héros malmené par les événements, découvre le monde et le fait découvrir aux lecteurs, avec une ironie et un cynisme grinçants. Le roman est écrit à la première personne, dans une langue volontairement crue et familière. Au début du roman, Ferdinand Bardamu, engagé volontaire, participe à la guerre de 1914. Envoyé au front, il mêle au récit de ce qu’il observe des remarques acerbes sus sa propre incompréhension, sur l’absurdité de la guerre. Libéré après sa désertion, échappé à l’ « abattoir en folie » de la guerre, Ferdinand s’embarque pour l’Afrique. Il débarque en Bangola-Bragamance et découvre l’envers cocasse et sordide du colonialisme. Dans cet extrait, se déroulant à Fort-Gono, capitale du pays, il est allé rendre visite à un collègue de la Compagnie qui l’emploie. Celuici tient un comptoir dans le quartier européen. Atteint d’une maladie de peau qui lui cause de pénibles démangeaisons, le « corocoro », il donne une image pitoyable de l’humanité et de la pourriture du monde colonialiste.
Lecture
Nous trinquâmes à sa santé sur le comptoir au milieu des clients noirs qui en bavaient d’envie. Les clients c’étaient des indigènes assez délurés pour oser s’approcher de nous les Blancs, une sélection en somme. Les autres nègres (1), moins dessalés (2), préféraient demeurer à distance. L’instinct. Mais les plus dégourdis, les plus contaminés, devenaient des commis de magasin. En boutique, on les reconnaissait les commis nègres à ce qu’ils engueulaient passionnément les autres Noirs. Le collègue au « corocoro » achetait du caoutchouc de traite, brut,