Discours sur les sciences et les arts de rousseau
Les sciences sont le chef-d'œuvre du génie et de la raison. L'esprit d'imitation a produit les beaux-arts, et l'expérience les a perfectionnés. Nous sommes redevables aux arts mécaniques d'un grand nombre d'inventions utiles qui ont ajouté aux charmes et aux commodités de la vie. Voilà des vérités dont je conviens de très bon cœur assurément. Mais considérons maintenant toutes ces connaissances par rapport aux mœurs 1
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Si des intelligences célestes cultivaient les sciences, il n'en résulterait que du bien : j'en dis autant des grands hommes, qui sont faits pour guider les autres. Socrate savant et vertueux fut l'honneur de l'humanité : mais les vices des hommes vulgaires empoisonnent les plus sublimes connaissances et les rendent pernicieuses aux nations ; les méchants en tirent beaucoup de choses nuisibles ; les bons en tirent peu d'avantage. Si nul autre que Socrate ne se fût piqué de philosophie à Athènes, le sang d'un juste n'eût point crié vengeance contre la patrie des sciences et des arts
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C'est une question à examiner, s'il serait avantageux aux hommes d'avoir de la science, en supposant que ce qu'ils appellent de ce nom le méritât en effet : mais c'est une folie de prétendre que les chimères de la philosophie, les erreurs et les mensonges des philosophes puissent jamais être bons à rien. Serons-nous toujours dupes de mots ? et ne comprendrons-nous jamais qu'études, connaissances, savoir et philosophie, ne sont que de vains simulacres élevés par l'orgueil humain, et très indignes des noms pompeux qu'il leur donne