Dissertation anouilh, tournier, koltès, bettelheim
Dans Gaspard, Melchior et Balthazar, Michel Tournier raconte l'histoire de Taor, prince de Mangalore. Le jeune prince, au cours d'un long périple, rencontre le rabbi Rizza qui lui raconte alors l'histoire de ses ancêtres, les premiers bédouins. En ce temps heureux, béni de Dieu, « le corps et l'âme étaient coulés d'un seul bloc », et la nourriture nourrissait l'un comme l'autre : « la bouche servait de temple vivant […] à la parole qui nourrit et à la nourriture qui enseigne, à la vérité qui se mange et se boit, et aux fruits qui fondent en idées, préceptes et évidences… ». Les deux chiasmes qui structurent cette phrase soulignent bien à quel point enseignement spirituel et nourriture physique étaient alors indissociablement liés et presque équivalents. Cependant, ce bref récit de Rizza est chargé de signification et donne à Taor un « enseignement », c'est « une fable, un apologue », prévient le narrateur. Par une mise en abyme subtile, cette « nourriture qui enseigne », cette « vérité qui se mange » peuvent alors évoquer l'apologue lui-même, qui s'adresse à tous les sens de l'homme, à son corps, comme à son esprit, et le nourrit sans même qu'il en ait forcément conscience, à l'image de Taor. Dans quelle mesure cette métaphore propose-t-elle une définition de l'apologue et de ses effets ? Nous verrons tout d'abord que l'apologue satisfait effectivement un besoin et nourrit le lecteur. Nous observerons ensuite comment ce genre littéraire offre un enseignement et se veut porteur d'une vérité. Enfin, nous montrerons que l'apologue se présente comme une véritable nourriture spirituelle.
I. L'apologue comme nourriture
1. La satisfaction d'un besoin
Rizza présente la « parole » de l'apologue comme une nourriture, c'est-à-dire un aliment capable de combler les sens de l'homme et de satisfaire un besoin physique, charnel. On peut en effet considérer que la fiction qui caractérise de prime abord l'apologue répond à un besoin important, inscrit au cœur même