L’AUTODAFE DES SENTIMENTS

« Oui, ma vie
Ce fut d’être celui qui souffle, -- et qu’on oublie ! »
EDMOND ROSTAND

« D écidément ! c’est, encore une fois, elle qui avait raison » s’est-il dit avant de se verser un verre de Calvados artisanal ramené de Normandie… peut être le septième, et d’enchaîner machinalement en portant une cigarette à hauteur de ses lèvres… noircies, asséchées, fatiguées. « Alain aurait sans doute dit : c’est du Calva du Diable », pensa-t-il.
Ah ! le gentil fermier affable de Gouvet avec ses chiens dodus qui terrifiaient tant Naomie et la poussait à se blottir benoîtement contre lui.

Il jette un regard cadavérique sur la boite vide (la deuxième achevée en l’espace de quelques heures) et ne put s’empêcher de penser à M., l’amie de Naomie qui s’est suicidée récemment.

Il se rappela que Naomie lui avait dit une fois que son amie ne se serait peut être pas suicidée si elle l’avait connue. Le même regret amer le prit alors de nouveau à la gorge. Et comme pour calmer cette brûlure infecte, il saisit le verre de Calva d’une main tremblante et le vida d’un trait. Le passage à travers son gosier de cette puissante liqueur faite à base de jus de pommes distillées eut sur lui un effet analgésique instantané.

« Au rythme où se bousculent les idées dans ma tête la bouteille ne tiendra pas longtemps », pensa-t-il.

Il eut aimé répondre que lui aussi, comme son amie, et comme elle-même d’ailleurs, il était « en partance »… et que, peut être, s’il l’avait connue il aurait probablement été de ce voyage définitif. Alors… il aurait, enfin, cessé d’Être… et ne se serait pas assis en face d’elle dans ce café du dixième arrondissement bordant le Canal Saint Martin, en train de parler de Sarah Kane… et du refus de vivre.

Que lui puisse avoir des idées sombres et « décadentes » lui semblait faire partie « de la nature même des choses », puisqu’il considère, au soir de sa vie, avoir livré le semblant de message que quiconque