Désir et souffrance Première croyance portée par la conscience commune : la souffrance dans le désir tiendrait seulement à son issue comme échec ou déception. Mais qui est encore assez crédule pour ne pas voir qu’il y a souffrance non pas dans le terme du désir, mais dans le processus même du désir ? Tant que le désir nous hante, nous vivons insatisfait, avec un creux au ventre et un vague à l’âme ; malheureux, plongé dans une sorte d’errance dont nous ne pouvons échapper que par quelques compensations ou dérivatifs. La vérité, c’est que nous sommes incapables d’éteindre ce feu qui nous ronge. Et comme cet état est constant, la poursuite de compensations pour palier à la frustration du désir absorbe une énorme quantité d’énergie chez la plupart des êtres humains. Seconde croyance commune : il y aurait, dans la satisfaction future du désir la promesse « d’atteindre le bonheur » ! Au lieu de quoi chacun peut observer que, même lorsque qu’un désir se réalise, la satisfaction est de très courte durée. C’est même un attrape-nigaud, car ce qui ne cesse de renaître et de se multiplier, c’est la poursuite des désirs, de sorte que ce « bonheur » prétendu est toujours repoussé à plus tard et n’arrive en définitive jamais. Rousseau se trompe en disant que l’homme qui ne désire plus rien est le plus malheureux des hommes. C’est tout le contraire. N’est-ce pas précisément laisser une opportunité au bonheur que d’arrêter de le chercher dans nos désirs? C'est seulement quand l’esprit se met au repos dans l’instant, sans le moindre irritation du désir qu’il connaît la paix. N’y a-t-il pas nécessairement de la souffrance dans le processus du désir ? Si nous cherchons à satisfaire nos désirs, n’est-ce pas surtout… pour nous en débarrasser ? Ou bien, le problème ne tient-il pas à la position de la conscience qui accompagne le désir ? Peut-on à la fois désirer et ne pas pour autant se perdre dans ses désirs ?