Ecrit d'invention - 1984
Julia,
C'est beaucoup d'émotions que de t'écrire cette lettre, à n'en pas douter plus que je n'en prête à notre dernière entrevue. J'ai peine à voir notre union s'estomper, à songer au dégoût que nous nous portons, mais n'est-ce pas là l'issue fatale d'une liaison bâtie sur le vice et le crime de la pensée ? J'ai cru entendre que ta guérison avait été rapide, mais je ne me pardonnerai jamais de t'avoir entraîné dans ma folie. J'ai longtemps cultivé la perversion qui infectait mon esprit, croyant qu'il s'agissait d'une vertu, et marché contre des esprits tellement plus éclairés... Jamais je ne serai assez redevable à la patience de mes guérisseurs et à l'omniprésent Big Brother.
Le souvenir de mon errance passée ne m'arrache à présent plus qu'un pathétique sourire. Plein de mépris, je refusais un monde que j'avais la prétention de vouloir à moi seul changer. Et pour défendre quelles valeurs ? Je prônais en réalité aveuglement des principes périmés depuis près d'un siècle. Pourquoi l'Amour serait-il un sentiment plus humain que la Haine ? Comment peut-on juger objectivement de ce qu'est le Bien et ce qu'est le Mal ? Le meilleur des mondes ne serait-il pas celui où chaque Homme accepte sa condition ? La misère et l'Ignorance ne sont ils pas un prix raisonnable pour y parvenir ? La réalité est que l'essence même de l'Homme est la recherche du pouvoir. Si l'inégalité et l'autorité en découlent directement, alors la véritable aliénation serait de s'y opposer.
Je me rappelle avoir reproché par-dessus tout au Parti un culte de la falsification et du mensonge. Mais pouvais-je moi-même prétendre détenir la vérité ? La réalité n'est ni extérieure, ni objective, elle existe uniquement dans l'esprit des individus, dans l'esprit du Parti. Peut-on alors qualifier de mensonge un énoncé approuvé unanimement ? La maîtrise de la doublepensée est la plus grande vertu qu'un individu puisse acquérir car seul un esprit discipliné peut