Ethnologue unique
L’ethnologue préféré : Le Lévi-Strauss de Tristes tropiques
« De la musique encore et toujours ! »
Verlaine, Art poétique
¶1 L’écrivain préféré ? À cet intitulé, on s’attend à voir associer le nom d’un romancier ou d’un poète. Mais est-ce que celui d’un ethnologue pourrait figurer sur la liste ? Si cet ethnologue s’appelle Lévi-Strauss, et que dans ses écrits il nous fait entendre de la musique, j’ai envie de répondre : oui – ce qui implique nécessairement un questionnement des frontières de la littérature et de l’ethnologie. On peut aussi se demander pourquoi lui plutôt qu’un autre. Qu’est-ce qui fait qu’il apparaît soudain comme un ami ? D’un destin à l’autre, le lecteur s’identifie naturellement à l’auteur. Le mot « vocation » vient aussitôt à l’esprit. Mais si, loin de toute nécessité, tout n’était que hasard…
UN CHANT FAMILIER
¶2 L’ethnographie, support empirique de l’ethnologie, est au carrefour de l’art et de la science. Tout en rendant compte de vérités objectives, elle exige un véritable travail d’écriture par lequel un auteur peut éventuellement exprimer sa singularité. Néanmoins ce souci du bien-écrire ne garantit en rien son rattachement à la littérature. Comme l’écrivit Vincent Debaene : « Les logiques de qualification d’un texte comme scientifique ou comme littéraire sont tout simplement hétérogènes puisque, dans un cas, on évalue une pertinence et, dans l’autre, on désigne une appartenance1. » De ce point de vue, science et littérature ne sont pas à mettre sur le même plan. Néanmoins l’intrusion du « je » dans les textes de sciences sociales2, souvent présentée comme une « révolution épistémologique3 », est venue semer le trouble dans la division des genres. L’inflation du je « méthodologique » a rendu caduc le positivisme des pères fondateurs, pour qui le langage devait se cantonner à sa fonction instrumentale : transmettre des informations. Aujourd’hui le « divorce de nature entre l’objectivité du savant et la subjectivité de