Extrait de la pièce «Huis clos»
INÈS
VOUS êtes très belle. Je voudrais avoir des fleurs pour vous souhaiter la bienvenue.
ESTELLE
Des fleurs? Oui. J'aimais beaucoup les fleurs. Elles se faneraient ici : il fait trop chaud. Bah! L'essentiel, n'est-ce pas, c'est de conserver la bonne humeur. Vous êtes ...
INÈS
Oui, la semaine dernière. Et vous?
ESTELLE
Moi? Hier. La cérémonie n'est pas achevée. (Elle parle avec beaucoup de naturel, mais comme si elle voyait ce qu'elle décrit.) Le vent dérange le voile de ma sœur. Elle fait ce qu'elle peut pour pleurer. Allons! Allons! Encore un effort. Voilà! Deux larmes, deux petites larmes qui brillent sous le crêpe. Olga Jardet est très laide ce matin. Elle soutient ma sœur par le bras. Elle ne pleure pas à cause du rimmel et je dois dire qu'à sa place ... C'était ma meilleure amie.
INÈS
Vous avez beaucoup souffert?
ESTELLE
Non. J'étais plutôt abrutie.
INÈS
Qu'est-ce que ... ?
ESTELLE
Une pneumonie. (Même jeu que précédemment.) Eh bien, ça y est, ils s'en vont. Bonjour! Bon jour! Que de poignées de main. Mon mari est malade de chagrin, il est resté à la maison. (A Inès.) Et vous?
INÈS
Le gaz.
ESTELLE
Et vous, monsieur?
GARCIN
Douze balles dans la peau. (Geste d'Estelle.) Excusez-moi, je ne suis pas un mort de bonne compagnie.
ESTELLE
Oh! cher monsieur, si seulement vous vouliez bien ne pas user de mots si crus. C'est ... c'est choquant. Et finalement, qu'est-ce que ça veut dire? Peut-être n'avons-nous jamais été si vivants. S'il faut absolument nommer cet. .. état de choses, je propose qu'on nous appelle des absents, ce sera plus correct. Vous êtes absent depuis longtemps?
GARCIN
Depuis un mois, environ.
ESTELLE
D'où êtes-vous?
GARCIN
De Rio.
ESTELLE
Moi, de Paris. Vous avez encore quelqu'un là bas?
GARCIN
Ma femme. (Même jeu qu'Estelle.) Elle est venue à la caserne comme tous les jours; on ne l'a pas laissée entrer. Elle regarde entre les barreaux de la grille. Elle ne sait pas encore