extrait la controverse de valladolid
2. Extraits La controverse de Valladolid, Jean-Claude Carrière, Belfond - Le Pré aux Clercs 1992
Première partie - L'argumentation de Las Casas-Chapitre 3, pages 39 à 45
Il adresse un geste conciliateur au dominicain, qui est resté debout devant lui. Et Las Casas n'hésite pas :
- Oui, tout ce que j'ai vu, je l'ai vu se faire au nom du Christ ! J'ai vu les Espagnols prendre la graisse d'Indiens vivants pour panser leurs propres blessures ! Vivants ! Je l'ai vu ! J'ai vu nos soldats leur couper le nez, les oreilles, la langue, les mains, les seins des femmes et les verges des hommes, oui, les tailler comme on taille un arbre ! Pour s'amuser ! Pour se distraire ! J'ai vu, à Cuba, dans un lieu qui s'appelle Caonao, une troupe d'Espagnols, dirigés par le capitaine Narvaez, faire halte dans le lit d'un torrent desséché. Là ils aiguisèrent leurs épées sur des pierres, puis ils s'avancèrent jusqu'à un village et se dirent : Tiens, et si on essayait le tranchant de nos armes ? Un premier Espagnol tira son épée, les autres en firent autant, et ils se mirent à éventrer, à l'aveuglette, les villageois qui étaient assis bien tranquilles ! Tous massacrés ! Le sang ruisselait de partout !
- Vous étiez présent ? demande le cardinal.
- J'étais leur aumônier, je courais comme un fou de tous côtés ! C'était un spectacle d'horreur et d'épouvante ! Et je l'ai vu ! Et Narvaez restait là, ne faisant rien, le visage froid. Comme s'il voyait couper des épis. Une autre fois j'ai vu un soldat, en riant, planter sa dague dans le flanc d'un enfant, et cet enfant allait de-ci de-là en tenant à deux mains ses entrailles qui s'échappaient !(…) Une autre fois, Éminence, toujours à Cuba, on s'apprêtait à mettre à mort un de leurs chefs, un cacique, qui avait osé se rebeller, ou protester, et à le brûler vif. Un moine s'approcha de l'homme et lui parla un peu de notre foi. Il lui demanda s'il voulait aller au ciel, où sont la gloire et le repos éternels, au