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Baudelaire écrit à sa mère, le 11 janvier 1858, : "Vous n’avez donc pas remarqué qu’il y avait dans Les Fleurs du mal deux pièces vous concernant, ou du moins allusionnelles à des détails intimes de notre ancienne vie, de cette époque de veuvage qui m’a laissé de singuliers et tristes souvenirs, _ l’une Je n’ai pas oublié, voisine de la ville ... (Neuilly), et l’autre qui suit : La servante au grand coeur dont vous étiez jalouse ... ? J’ai laissé ces deux pièces sans titres et sans indications claires parce que j’ai horreur de prostituer les choses intimes de famille." Par delà ce difficile couple de la mère et du fils, Mariette, "la servante au grand coeur" se fit un devoir de "couver" cet orphelin qui cherchait l’amour. Discrète, sa tendresse convertissait le petit garçon à l’espoir, au bonheur. Mariette témoignait, par le don silencieux d’elle-même, qu’il y avait du sens à vivre, à accomplir dans l’ordre des jours les plus modestes travaux. Or cette incarnation de la présence, cette générosité de l’amour dans un être, Baudelaire est tragiquement conscient d’en avoir oublié l’émouvante leçon. Lui non plus n’a pas su répondre, par ses actes, au don qui lui a été fait. Le fils confesse sa faute : une impardonnable infidélité, envers cette femme qui fut, dans l’enfance, une intermédiaire entre l’amour et lui. Pour apaiser ce remords, pour se souvenir - et même dans la détestation et l’orgueil qui font son enfer - de ce visage à la bonté bafouée, Baudelaire va trouver les mots d’une authentique prière en poème. La Servante au grand coeur nous permet d’entrevoir, dans l’obscurité d’une "chambre", le drame de l’impossible intimité du poète avec Paris. Harcelé par la culpabilité, Baudelaire sut donner la parole à ces insomnies de l’âme qui, dans une brutale dépossession, rendent chacun à soi-même. Nous verrons dans une première partie l’éloge de la servante, puis dans une seconde