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A UNE PASSANTE
La rue assourdissante autour de moi hurlait. Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, Une femme passa, d’une main fastueuse Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue. Moi, je buvais, crispé : comme un extravagant, Dans son œil, ciel livide ou germe l’ouragan, La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté Dont le regard m’a soudainement fait renaître, Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?
Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être ! Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !
1. SITUATION, COMPOSITION, SIGNIFICATION GENERALE
Extrait des « Tableaux parisiens », ce sonnet est fondé sur le thème de la rencontre, comme il arrive fréquemment dans cette section des Fleurs du mal (cf. « Les petites vieilles », « Les Aveugles »). Les hasards de la grande ville font se croiser le poète et une belle inconnue, qui, par-delà sa rencontre même, incarne la Beauté, à la fois fascinante et insaisissable. Une forme de l’idéal prend vie pour disparaître aussitôt. Le premier quatrain, après avoir brièvement esquissé un décor (v. 1), fait apparaître la passante, en épousant le regard du « je » qui l’observe et l’admire : une silhouette se rapproche (v. 2), le rythme de la démarche, le détail de la toilette, le geste de la main (v. 3-4) retiennent l’attention ; le vers 5 appartient à ce premier mouvement, car il résume le sentiment de perfection que la passante vient de laisser dans l’esprit du poète.
La réaction du « je » se manifeste dans un second temps ‘v. 6-8), ce léger décalage indiquant à lui seul que l’apparition l’a ébloui et subjugué ; le poète tente