Gargantua
Tristan Vigliano
Université Lyon 2
Bien que postérieur à Pantagruel par la date de sa composition,
Gargantua se trouve être, du point de vue de la narration, la première des chroniques rabelaisiennes. Aussi son prologue fonctionne-t-il comme un pacte de lecture dont la validité s’étend à l’ensemble de ces chroniques. C’est bien ainsi, du reste, que l’ont considéré les lectures scolaires. Lesquelles ont principalement insisté sur le passage dit de la substantifique moelle. La critique universitaire, quant à elle, s’est plutôt saisie des lignes qui suivent, pour un problème logique qu’elles soulevaient et sur lequel je voudrais ici revenir. Ce problème fut mis en évidence en 1960 par une étude de Léo Spitzer. Il appela des solutions contradictoires et déclencha parmi les
www.revue-analyses.org, vol. 3, nº 3, automne 2008
rabelaisiens une sorte de querelle des Anciens et des Modernes.
Les uns, que l’on pourrait appeler « évangéliques », estompèrent ou nièrent ce qui pouvait passer pour une contradiction du texte : ils préservèrent ainsi la possibilité d’un sens univoque, étroitement soumis à leurs yeux au dessein religieux de Rabelais. Michael Screech, Gérard Defaux, Edwin
Duval furent les principaux tenants de cette lecture. Les autres, que l’on pourrait appeler « formalistes », prirent au contraire leur parti de cette contradiction et s’en servirent pour souligner la polysémie à l’œuvre dans les fictions de Rabelais. Il revient à
Terence Cave, Michel Jeanneret ou François Rigolot d’avoir défendu cette position avec le plus de vigueur.
En présentant ainsi les parties en présence, j’ai bien conscience de simplifier à l’excès le débat, pour la commodité de mon propos. Il est fort improbable que les « évangéliques » ou que les « formalistes » se soient jamais affublés de tels noms1, ni qu’ils puissent se reconnaître exactement dans une dichotomie à ce point manichéenne : les postulats