Génie et mélancolie
Comme le rappelle Jean Starobinski, en préface à la récente traduction française de l'Anatomie de la mélancolie de Robert Burton, « l'histoire du discours médical et philosophique sur la mélancolie commence avec les écrits hippocratiques, cinq siècles avant l'ère chrétienne ; ce discours s'est continué jusqu'à nos savoirs et à nos perplexités sur les diverses formes de la dépression »1. Envisager Les Brigands, Hernani et Don Alvaro ou la force du destin sous l'angle de la mélancolie consiste donc à les situer par rapport à une tradition fort ancienne tout en mettant l'accent sur ce qui peut faire leur modernité. Il me semble que c'est aussi cette double orientation qu'implique l'intitulé de la question au programme, « héroïsme et marginalité », dans la mesure où il associe deux termes dont le premier apparaît en 1658 et renvoie à un terme grec, passé en français dès 1361, alors que le second est beaucoup plus récent : marginalité n'est attesté que depuis 1965 et si l'adjectif marginal existe depuis le XVe siècle, l'emploi figuré est lui aussi récent.
Le mot mélancolie ou l'adjectif mélancolique apparaissent pour caractériser le protagoniste dans la pièce de Schiller et dans celle du duc de Rivas. S'ils sont absent d'Hernani, celui qui se définit comme « [...] une force qui va ! / Agent aveugle et sourd de mystères funèbres ! /Une âme de malheur faite avec des ténèbres ! » n'en possède pas moins nombre de traits qui définissent la mélancolie pour les anciens comme pour les modernes.
Je me demanderai donc en quoi la mélancolie peut constituer un trait constitutif du héros romantique, nécessairement lié à la marginalité dans la mesure où le mélancolique se définit, depuis le pseudo-Hippocrate, comme celui qui vit à l'écart de la cité. J'émettrai tout d'abord l'hypothèse que la mélancolie comme attribut du héros est indissociable de la substitution du génie à la valeur guerrière comme fondement d'un nouvel héroïsme. Je