Histoire du saut en hauteur
De toutes les spécialités athlétiques, le saut en hauteur est sans conteste la plus impressionnante. Face à une barre, placée sur des taquets à 2m45 au-dessus du sol, un homme de taille moyenne qui n'est pas un champion se sent soudain saisi d'effroi. Comment faire passer un corps tout entier par-dessus cette fragile latte, sans l'effleurer ? Comment arracher à la pesanteur une masse de 80 kilos et la propulser verticalement par delà l'imaginable ? Autant de questions qui demeurent sans réponse, en dépit de la réalité des records contemporains. Je garde particulièrement en mémoire une soirée de juin 1976, à Los Angeles : à l'issue des championnats des États-Unis, Dwight Stones, qui n'était pas spécialement satisfait de sa performance, avait voulu, par jeu ou par défi, situer avec précision la hauteur qu'il aurait aimé franchir dans ce concours ; il s'était approché des poteaux, avait monté les curseurs de plusieurs centimètres, puis avait précautionneusement déposé sur les taquets une barre qui gisait ainsi à 2m30 d'altitude. Il l'avait longuement toisée de son regard de gosse espiègle et effronté ; je m'étais alors approché de lui « Cela paraît très haut », avais-je dit simplement. « C'est effectivement haut » me répondit Stones ; mais c'est une question d'habitude. A la longue, cela devient même comme une routine ». Habitude, routine, c'est vite dit. De tous les records, de toutes les épreuves dont il est question dans ce livre, les résultats enregistrés dans cette discipline m'apparaissent comme les plus surnaturels, les plus surhumains, peut-être parce que le regard mesure l'obstacle, l'apprécie, définit les limites du possible et de l'impossible. Sauter en hauteur est un geste naturel, un geste de gosse que tout le monde, ou presque, a effectué dans une cour d'école, sur un stade, ou à la campagne, dans un champ ceinturé par une haie. Ce passe-temps, cet