Images tragiques du savoir dangereux dans l’ Œdipe de Sénèque
Comme nul ne l’ignore, la tragédie est un lieu privilégié d’exposition des conflits intérieurs et extérieurs suscités par le savoir. Or, celui-ci s’avère, très souvent, un acte dangereux pour les personnages tragiques, qui subissent les conséquences variées de leur volonté de connaissance. D’une manière générale, par la mise en scène du motif, ce genre littéraire exhibe les enjeux éthiques et psychiques des crimes de sang, au coeur d’une interrogation sur les fondements et limites de la condition humaine. L’histoire mythique d’Œdipe est exemplaire en la matière et ses innombrables réécritures contribuent à révéler son caractère emblématique. Chaque actualisation des réseaux secondaires de la légende introduit, depuis les Tragiques grecs, des modifications qui – par dérivation ou déviation – en changent le contexte et la signification1.
Aussi, à travers les démarches d’une mémoire poétique toujours active, la trame du mythe a-t-elle été réélaborée en fonction des valeurs idéologiques propres aux différents paradigmes historiques et culturels2. Plus précisément, chaque performance des récits mythiques s’apparente à l’ensemble des représentations et pratiques symboliques de ses contextes de production. Comme l’a bien souligné C. Calame3, en tant que produit du processus symbolique et du poiein créateur de mondes fictionnels, ces histoires légendaires sont, avant tout, des récits « poiétiques » et poétiques dont le statut ontologique n’est autre que textuel. En ce sens, si Œdipe s’érige comme l’une des figures emblématiques des périls de la connaissance, la tragédie que Sénèque lui a consacrée présente des spécificités qui relèvent de la poétique tragique de cet auteur.
Mieux encore : le texte sénéquien place sous une perspective nouvelle les motifs majeurs de la légende vis-à-vis de ses devanciers gréco-romains et, en particulier, de la tragédie homonyme de Sophocle, qui lui a