Jack goody - le récit du monde
Jacques REVEL
Partant d’une comparaison entre l’Asie et l’Europe, l’anthropologue Jack Goody dénonce ce qu’il appelle le « vol de l’histoire ». Il reproche à Elias, Braudel ou Needham d’avoir conforté le grand récit qui fait de l’expérience historique de l’Europe à la fois une exception et la mesure de l’histoire du reste du monde. Cette critique est utile et légitime, selon Jacques Revel, mais repose sur des jugements parfois tout aussi globalisants que ceux qu’elle entend contredire.
Recensé : Jack Goody, Le Vol de l’histoire. Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2010, 488 p. (édition originale : The Theft of History, Cambridge, Cambridge University Press, 2006).
Comment peut-on penser, comment peut-on écrire aujourd’hui une histoire à l’échelle du monde ? La question a été posée avec insistance depuis les années 1980, et elle l’a été, bien sûr, sur fond de mondialisation (ou de globalisation). Alors même que le programme d’une histoire globale était inscrit à l’ordre du jour, on a bientôt pris la mesure des difficultés de sa mise en œuvre. On n’avait certes pas attendu cette échéance pour dénoncer les limites d’une histoire écrite dans le cadre traditionnel de l’État-nation. Sans trop de difficultés, un accord pouvait se faire aussi sur la nécessité d’une approche comparative (dont il faut bien reconnaître qu’elle reste plus souvent revendiquée que pratiquée). On pouvait encore s’entendre sans peine sur la nécessité de rassembler et de mettre à la disposition des chercheurs l’information qui permettrait de mieux assurer une perspective « transnationale », « globale » ou « mondiale » : des revues, des sites, des réseaux ont été créés, qui n’ont cessé de se multiplier depuis trente ans. Mais on n’en est pas resté là. À l’appui de ce « changement d’échelle historiographique », des propositions ont été formulées, qui recommandaient des 1
cadres d’analyse et des