Koltès, sallinger

2204 mots 9 pages
SALLINGER. de Bernard-Marie Koltès.

Scène première:

La nuit est profonde, mais il y a de très légers reflets - très légers, et de formes étranges - blancs, sur le sol.
Sans rien voir d'autre, on entend, au loin, une conversation à voix basse.

June: Tu vois bien comme c'est fermé, et bien fermé, avec de hauts murs pour qu'on n'entre pas la nuit; défense absolue d'entrer, impossible d'entrer; on s'en va.
Carole: J'ai vu la porte, une grille pas plus haute que moi, qu'on peut escalader.
June: Personne ne fait cela, personne n'entre là, en pleine nuit.
Carole: Je ne te demande pas de me suivre. Tais-toi, maintenant, ou va-t'en.
June: Tu es pire que les paysans, les plus vieux paysans, quand ils vendent leurs troupeaux; et puis après, quand ils l'ont vendu, qu'ils n'ont plus rien, qu'ils feraient mieux de rester chez eux tranquilles, et bien non: au lieu de rester tranquilles, ils passent leur temps à courir les champs à la recherche de leurs bêtes, comme si elles y étaient encore; qu'est-ce que tu cherches, vieux paysans, tes bêtes ne sont plus là.
Carole: Colle-toi là et fais-moi la courte échelle.
June: Ta robe va se déchirer; quelle histoire !
Carole: Maintenant, tu me suis, ou tu t'en vas ?
La lune se découvre d'un coup. Au milieu est le tombeau, comme une demeure de roi, immense, somptueux, laqué, avec des colonnes de chaque côté, et une profondeur noire au milieu.
Sur le sol, quelques plaques de neige à demie fondue. Et, des marches du tombeau jusque sur la neige, une multitude de petits bouquets de fleurs rouges.
June: La lumière du pavillon s'allume. Le gardien nous a vues.
Carole: C'est par là.
June: C'est une folie, on va dire: elles sont folles; je te dis que le gardien s'est réveillé.
Carole: Et moi je te dis: viens ou va-t'en.
Entre Carole, toute habillée de noir, et June qu'elle tire par la main.
Elles s'arrêtent un instant, regardent. Puis Carole lâche le bras de June, monte vers le mausolée. Elle s'assied sur une marche,

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