La banalité du mal
Chantal Delsol Je suis consciente de l’indignation douloureuse que suscite chez nos contemporains l’expression même de « banalité du mal ». Et cette indignation justement, rend utile la réflexion sur ce sujet.
Nos deux auteurs sont proches par l’irruption dans leur vie et dans leur chair de la catastrophe historique que constitue le nazisme. Devant cet événement, elles ne pouvaient pas l’une et l’autre ne pas poser la question du mal. La comparaison des deux approches est éloquente. Hannah Arendt (1906-1975) est fille de son époque, engagée. Simone Weil (1909-1943), en dépit de ses engagements sociaux et politiques, nous apparaît bien souvent surnaturelle, intemporelle, détachée. Et pourtant, il me semble que c’est Simone Weil qui a été le plus loin dans la réflexion sur le mal concret du XX° siècle, qui apparaît littéralement comme l’irruption du diable dans l’histoire des hommes.
1 Au départ, si le mal extrême peut être localisé, à leur époque, dans les crimes du nazisme, les deux auteurs diffèrent dans l’appréciation du caractère de ce mal.
Hannah Arendt voit d’abord dans le nazisme le mal absolu, autrement dit, elle trouve dans l’histoire un Mal à nul autre pareil, sorte de concrétisation du diable. Simone Weil en revanche affirme que le Mal absolu est hors l’histoire.
Il faut dès maintenant lever une ambiguïté de langage : dans Les origines du totalitarisme, dont la rédaction s’achève en 1949, Hannah Arendt parle de mal radical. Cette expression a été employée par Kant dans son opuscule Sur le mal radical dans la nature humaine. Cependant, c’est plutôt Simone Weil qui entend la radicalité du mal au sens kantien, alors qu’à cette époque, Hannah Arendt en dépit de l’expression qu’elle utilise, mal radical, se trouve plus éloignée de la vision de Kant. Il faut donc préciser ce que signifie cette radicalité, à partir de laquelle se comprendra mieux la banalité qui constitue notre sujet.
Chez