La douleur et la souffrance
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La douleur et la souffrance Personne ne confond la douleur et la souffrance dans le discours spontané, mais presque tout le monde les confond dans le discours réfléchi ou plus exactement les inverse, chacun des termes se retrouvant défini par celui-là même auquel il s’oppose : la souffrance serait une douleurnotamment morale, et la douleur une souffrance notamment physique. Or cette confusion est si insistante et systématique, malgré la faute de logique évidente qu’elle constitue, qu’il est impossible de l’attribuer seulement à l’ignorance ou au manque d’attention : quelque chose dans la réflexion de la douleur doit justifier qu’elle donne à penser qu’elle est une souffrance, et dans la réflexion de la souffrance qu’elle est une douleur. Tout se passe donc comme si la pensée commune signalait un trait paradoxalement propre à chacune des notions, qui serait de se voir réfléchie en l’autre : elles formeraient un nouage dont il nous reviendrait en même temps de préciser la nature et de le déplier.
Entreprendre de distinguer la douleur et la souffrance, c’est interroger un objet parfaitement précis, la sensibilité, dont la nature est en effet intrinsèquement réflexive, puisqu’on n’est sensible qu’à être sensible à sa propre sensibilité, l’insensibilité consistant non pas à ne pas être affecté (il faudrait n’être pas réel) mais à ne pas être affecté par le fait d’être affecté. En quoi c’est bien de douleur et de souffrance qu’il doit aussi s’agir, puisque l’un et l’autre de ces termes désignent des façons d’être affectés. La simple notion de sensibilité, parce qu’elle est celle d’une réflexion, force donc à poser que là où nous avons mal, là où nous souffrons, nous sommes en même temps pris dans un redoublement : nous faisons l’épreuve de cette épreuve que constitue ici la douleur, et là la souffrance. Or cette épreuve est en même temps celle qu’un être ouvert aux choses qui peuvent l’affecter avec plus ou moins de bonheur, et celle d’un être ouvert à lui-même,