La ferme des animaux
L’hiver durait, et, de plus en plus, Lubie faisait des siennes. Chaque matin elle était en retard au travail, donnant pour excuse qu’elle ne s’était pas réveillée et se plaignant de douleurs singulières, en dépit d’un appétit robuste. Au moindre prétexte, elle quittait sa tâche et filait à l’abreuvoir, pour s’y mirer comme une sotte. Mais d’autres rumeurs plus alarmantes circulaient sur son compte. Un jour, comme elle s’avançait dans la cour, légère et trottant menu, minaudant de la queue et mâchonnant du foin, Douce la prit à part.
« Lubie, dit-elle, j’ai à te parler tout à fait sérieusement. Ce matin, je t’ai vue regarder par-dessus la haie qui sépare de Foxwood, la Ferme des Animaux. L’un des hommes de Mr. Pilkington se tenait de l’autre côté. Et… j’étais loin de là… j’en conviens… mais j’en suis à peu près certaine, j’ai vu qu’il te causait et te caressait le museau. Qu’est-ce que ça veut dire, ces façons, Lubie ? »
Lubie se prit à piaffer et à caracoler, et elle dit :
— Pas du tout ! Je lui causais pas ! Il m’a pas caressée ! C’est des mensonges !
— Lubie ! Regarde-moi bien en face. Donne-moi ta parole d’honneur qu’il ne te caressait pas le museau.
— Des mensonges ! », répéta Lubie, mais elle ne put soutenir le regard de Douce, et l’instant d’après fit volte-face et fila au galop dans les champs.
Soudain Douce eut une idée. Sans s’en ouvrir aux autres, elle se rendit au box de Lubie et à coups de sabots retourna la paille sous la litière, elle avait dissimulé une petite provision de morceaux de sucre, ainsi qu’abondance de rubans de différentes couleurs.
Trois jours plus tard, Lubie avait disparu. Et trois semaines durant on ne sut rien de ses pérégrinations. Puis les pigeons rapportèrent l’avoir vue de l’autre côté de Willingdon, dans les brancards d’une charrette anglaise peinte en rouge et noir, à l’arrêt devant une taverne. Un gros homme au teint rubicond, portant guêtres et culotte de cheval, et ayant tout l’air d’un cabaretier, lui