On l’appelait la Grande Royale Comme chaque matin, les jeunes disciples de maître Thierno vont de porte en porte pour quêter leur nourriture. Une dispute éclate entre Samba Diallo – de la famille des Diallobé – et l’un de ses camarades. Quelqu’un les sépare. Lorsqu’il leva la tête, son regard rencontra un grand visage altier, une tête de femme qu’emmitouflait une légère voilette, de gaze blanche. On le nommait la Grande Royale. Elle avait soixante ans et on lui eut donné quarante à peine. On ne voyait d’elle que le visage. Le grand boubou bleu qu’elle portait trainait jusqu’à terre et ne laissait rien apparaître que le bout pointu de ses babouches jaune d’or, lorsqu’elle marchait. La voilette de gaze entourait le cou, couvrait la tête, repassait sous le menton et pendait derrière, sur l’épaule gauche. La Grande Royale, qui pouvait bien avoir un mètre quatre-vingts, n’avait rien perdu de sa prestance malgré son âge. La voilette de gaze épousait l’ovale d’un visage aux contours pleins. La première fois qu’il l’avait vue, Samba Diallo avait était fasciné par ce visage, qui était comme une page vivante de l’histoire du pays des Diallobé. Tout ce que le pays compte de tradition épique s’y lisait. Les traits étaient tout en longueur, dans l’axe du nez légèrement busqué. La bouche était grande et forte sans exagération. Un regard extraordinairement lumineux répandait sur cette figure un éclat impérieux. Tout le reste disparaissait sous la gaze qui, davantage qu’une coiffure, prenait ici une signification de symbole. L’islam refrénait la redoutable turbulence de ces traits, de la même façon que la voilette les enserrait. Autour des yeux et sur les pommettes, sur tout ce visage, il y’avait comme le souvenir d’une jeunesse et d’une force sur lesquelles se serait apposé brutalement le rigide éclat d’un souffle ardent. La Grande Royale était la sœur aînée du chef des Dillobé. On racontait que, plus que son frère, c’est elle que le pays craignait. Si elle