La guimbarde
Toutes les idées n’ont-elles pas droit à l’existence et à l’expression ? Si oui, n’est-il pas intolérant de dénigrer une idée ? Mais si critiquer une idée est de l’intolérance, faudrait-il alors renoncer à la critique pour être tolérant ? La tolérance consiste-t-elle à accepter toutes les idées sans vouloir les examiner et les juger ? Ne faut-il pas du moins critiquer les idées intolérantes ? La critique philosophique ne serait-elle pas la condition de la tolérance même ?
Toute idée, en tant qu’elle est l’expression naturelle de l’homme comme être pensant, a droit à l’existence et à l’expression. Or, l’esprit de critique consiste à dénigrer systématiquement les opinions et les actions d’autrui. Cette attitude d’esprit est non seulement négative, mais encore paresseuse : il ne s’agit pas de penser par soi-même, mais de dénigrer toute pensée venant d’autrui. C’est ici la différence, l’altérité en elle-même (ce qui fait qu’un autre est un autre) qui est refusée. Or, le refus de la différence en elle-même est ce qui définit l’intolérance.
La critique d’une idée, même lorsqu’elle se veut scientifique, nait souvent de préjugés à l’encontre d’autrui. L’ethnocentrisme par exemple, conviction de la supériorité culturelle du groupe auquel on appartient, conduit à considérer les pensées étrangères comme systématiquement « infantiles » et « naïves ». Ainsi J. Frazer, anthropologue anglais du XXe, dans son Rameau d’or consacré aux croyances magiques de populations dites « primitives », qualifie simplement ces croyances d’«erreurs » sans chercher à les comprendre davantage. Il en va de même du discours scientifique rejetant comme « stupides » ou « absurdes » les théories astrologiques ou alchimiques.
Cet esprit de critique est d’abord intolérant en ce qu’il ne reconnait pas la moindre part de vérité ou le moindre bien-fondé aux idées attaquées. En outre, du dénigrement systématique à la persécution