LA LIBERTE PAR KANT
Celui qui croit est, d’abord et avant tout, celui qui ne sait pas. Croire paraît bien, en effet, s’opposer à savoir : lorsqu’on sait, on ne croit plus, on sait. Mais cette opposition prend bien souvent, dans l’opinion courante, la forme plus précise d’une hiérarchie : n’est-il pas clair qu’il « vaut mieux » savoir que croire ? Le premier offre assurance et certitude, là où le second en reste à une simple possibilité ou à un espoir. En somme, le savoir représenterait l’aboutissement, la réussite de ce qui, dans le croire, resterait à l’état d’ébauche, de désir inassouvi. Croire serait un pis-aller, une sorte de sous-savoir : on ne croirait que « faute de mieux », lorsque le savoir est hors d’atteinte ; pire encore : le croire pourrait bien être une solution de facilité, permettant d’éviter l’angoisse de l’ignorance et les affres de la recherche : celui qui croit ne se donne-t-il pas à fort bon compte toutes les réponses ?
Une telle manière d’envisager le croire n’est pas sans pertinence : elle correspond à ce que l’on peut appeler la croyance. Croire à ceci ou cela signifie alors : adhérer à une affirmation d’une manière immédiate, sans pouvoir ni vouloir en rendre compte, sans distance ni interrogation, selon une décision subjective et souveraine. On comprend, du même coup, que l’objet de la croyance (ce à quoi l’on croit) puisse varier à l’infini selon les différents individus : issue de la subjectivité et n’exprimant que celle-ci, la croyance de l’un diffèrera de la croyance de l’autre, puisque tous deux n’ont pas la même subjectivité — c’est-à-dire : les mêmes goûts, les mêmes intérêts, les mêmes habitudes ... On comprend aussi que la croyance soit proche parente de la crédulité : puisqu’ici la subjectivité décide souverainement, il est logique qu’elle adhère à tout ce qui comble ses désirs (conscients ou non), sans se préoccuper d’examen ou de vérification. La croyance est indifférente à la vérité. En elle, le sujet ne cherche pas à s’élever