La naissance de l'écrivain classique
La littérature est devenue une haute valeur culturelle depuis le milieu du xixe siècle, entre 1830 et 1850. C'est la thèse de Paul Bénichou, qui, dans Le Sacre de l'écrivain, 1750-1830, fait l'histoire de la « dignification de la littérature profane » (p. 13), c'est-à-dire l'émancipation de la littérature par rapport à l'autorité de la religion, et même la substitution de l'autorité de la littérature à celle de la religion. Les écrivains devinrent les héros et les saints du xixe siècle. Sartre, dans Qu'est-ce que la littérature ?, situait le tournant autour de la Révolution de 1848, après une transformation du statut de l'écrivain qui remonte à 1789 : « Le commerce qu'il entretenait avec la caste sacrée des prêtres et des nobles le déclassait réellement [...]. Mais, après la Révolution, la classe bourgeoise prend elle-même le pouvoir. » L'écrivain refuse alors de « rentrer dans le sein de la bourgeoisie », qu'il méprise après deux cents ans de faveur royale : « parasite d'une classe parasite, il s'est habitué à se considérer comme un clerc ». L'écrivain se situe en dehors des classes. Belle âme, il refuse l'utilitarisme bourgeois et oeuvre pour le triomphe spirituel de la Contre-Révolution : ce sera le grief de Sartre contre Baudelaire et Flaubert, qui n'ont pas choisi le camp du progrès en 1848 et après. Bourdieu, lui, évoque l'« autonomie » croissante de la littérature à partir de 1850, c'est-à-dire l'identification de la valeur littéraire à une littérature restreinte, une littérature de littérateurs et pour littérateurs, coupée de la vie sociale et de la « littérature industrielle », comme disait Sainte-Beuve. La date varie quelque peu, mais tous ces auteurs observent que les notions de littérature et d'écrivain prirent, entre 1750 et 1850, les sens qui nous sont familiers et comme naturels depuis lors. Nos notions modernes de littérature et d'écrivain sont toujours celles qui se sont instituées au début du