La politique
CE QUI FAIT SOCIETE : LE POLITIQUE, L’ECONOMIE, LE DROIT ?
J.-F. KERVEGAN (PARIS 1 / IUF)
Le seul fait de pouvoir se demander « ce qui fait société » témoigne de la situation singulière des sociétés contemporaines, une situation que l’on cherche parfois à désigner à l’aide du terme « complexité ». En effet, dans les sociétés qu’on appellera par commodité « traditionnelles », cette question ne pouvait même pas être soulevée, tant la réponse à lui apporter était évidente. Le lien social avait un unique substrat, quel qu’il soit : par exemple, l’adhésion à un modèle politique (la polis grecque, l’Etat-« Léviathan » de Hobbes) ou à un système de convictions religieuses (le christianisme comme foyer de sens unifiant, malgré les différends politiques, l’Europe médiévale). Or le propre des sociétés contemporaines est qu’elles n’ont plus un centre de gravité indiscutable : ce sont des sociétés « complexes » en ce sens qu’elles sont différenciées en plusieurs strates ou, comme dit Niklas Luhmann (voir texte 17), en « sous-systèmes » (l’économie, la politique, le droit, l’éducation, la culture…) dont chacun dispose d’un mode de fonctionnement autonome, mais dont aucun ne jouit d’une position clairement dominante, de sorte que l’on n’est plus de prime abord en mesure de définir « ce qui fait société ». Et pourtant, le fait de cet « être-ensemble » est indubitable, en dépit des tensions multiformes qui traversent chacune des strates composant « la » société, et qui rendent nécessaire la permanente recomposition d’un lien social qui a perdu son caractère d’évidence. Si l’on s’en tient à la période moderne (mes compétences ne me permettant pas de parler de façon experte des sociétés antiques ou médiévales, et encore moins des sociétés non-européennes), on peut considérer qu’on est passé d’une forme de société où ce qui fait tenir