La solitude
Par Eric FIAT, Philosophe – Université de Marne-la-Vallée
On envisagera d’abord la solitude dans les conditions ordinaires de la vie, avant que de l’envisager après l’accident cérébral.
Dans les conditions ordinaires de la vie, la solitude est foncièrement ambiguë : elle peut donner du plaisir, comme Rousseau l’a bien montré dans «Les rêveries du promeneur solitaire », mais un plaisir tout négatif. C’est le plaisir de ne plus être soumis à la promiscuité, à l’indifférence ou à l’indiscrétion d’autrui, à son jugement, même muet, parce que paraître en société, c’est comparaître. Mais dès que la solitude s’installe un peu longtemps, elle devient douleur, et est même déshumanisante : voir « Vendredi ou les limbes du pacifique », de Michel Tournier. Solitude choisie et solitude imposée. Solitude et isolement : qu’on peut se sentir très seul dans une foule.
Dans les conditions créées par l’accident cérébral, parce que la solitude n’est pas choisie mais est le résultat d’un accident, comment ne serait-elle pas douleur ? Ce qu’est un accident, au sens philosophique du terme. L’accident comme événement. Ce qu’est un événement : il est imprévisible, incalculable, il déborde nos capacités de réception. Il ne vient pas de devant (on ne le voit pas venir), mais d’en haut (une tuile nous tombe sur la tête), de derrière (il nous prend en traître), d’en dessous (le sol se dérobe sous nos pieds).
Première solitude : alors que pour le reste du monde tout continue comme avant (le temps a alors une continuité qui donne au quotidien sa stabilité confiante), le patient et son entourage ont senti le temps se briser : une discontinuité fondamentale, entre l’avant et l’après de l’accident : sentiment de l’irréversible : peut être que plus rien ne sera comme avant. Solitude d’une temporalité brisée : le temps n’est pas le même pour le patient et son entourage, et pour le reste du monde.
Solitude du patient : un corps