La souffrance

6554 mots 27 pages
La souffrance
Philippe Touchet, Professeur de philosophie en Classes préparatoires.

« La souffrance ne se borne pas à être, mais à être en excès. Souffrir, c’est toujours souffrir de trop. »
Paul Ricœur, La souffrance n’est pas la douleur, dans Souffrances, sous la direction de Jean Marie Koessel, Paris, Autrement, 1994, p. 68. Introduction.

Dans notre petite exploration très partielle de l’œuvre de Levinas, nous avons déjà repéré plusieurs figures de sa critique de la philosophie de l’être. Contestant toutes les formes du savoir comme identification, nous avons déjà pu saisir le rôle du temps comme cela qui m’éloigne de l’identique, et d’une manière qui n’est récupérable ni dans la représentation, ni dans le discours. Puis nous avons vu le rôle majeur de l’antériorité de l’autre, en tant qu’il fixe une limite absolue à toute liberté du sujet.
Nous essaierons maintenant d’aborder une de ces figures de l’altérologie, mais au plus intime du sujet lui-même, dans la souffrance. 1. La souffrance de soi

Dans Le temps et l’autre, ouvrage que Levinas construit dans les débuts de son travail, il analyse la souffrance dans la logique qu’il a héritée de Heidegger, dans Sein und Zeit. Il s’agit alors de comprendre la souffrance comme souffrance de soi, et en soi.
La souffrance doit d’abord être distinguée de la simple douleur. Car la douleur est bien plutôt l’état transitoire de l’absence du plaisir, c’est l’impossibilité momentanée du plaisir. En ce sens, la douleur est partie prenante de l’activité de la jouissance. Il peut y avoir douleur au cœur même de la logique du désir, parce que la jouissance est la réduction d’un manque, et que ce manque lui-même est nécessaire à sa réalisation. La douleur apparaît comme une étape, parfois difficile. Mais la douleur a du sens, comme les douleurs de l’enfantement, parce qu’elle n’est pas une interruption de la puissance de maîtrise du sujet.
La souffrance, elle, est au-delà de la distinction des plaisirs et

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