La technique s'oppose-t-elle à la nature ?
Il est pour nous évident que le petit chemin serpentant dans la campagne est plus naturel que la centrale nucléaire et, plus généralement, que la technique est l'autre de la nature. Ce qui est naturel en effet, c'est ce qui se fait sans l'homme ; ce qui est produit par la technique et l'art au sens large, c'est au contraire ce qui naturellement n'existerait pas. La question serait donc d'emblée entendue : la technique est ce qui s'oppose à la nature, chacune se définissant par exclusion de l'autre (est naturel tout ce qui n'est pas produit par la technique, est technique tout ce qui n'est pas produit par la nature).
À y regarder de plus près, cette belle évidence apparaît cependant troublée : après tout, le chemin de campagne n'a rien de naturel, tandis que la centrale nucléaire ne peut produire de l'énergie que parce qu'elle obéit à des lois de physique fondamentale ; au reste, on retrouve les mêmes processus de fission d'atomes lourds au cœur de toutes les étoiles. Ce que nous appelons communément nature est en fait le fruit d'un long processus d'aménagement engagé par l'homme depuis des millénaires : les forêts ne poussent pas toutes seules, les fleuves ont vu leur parcours endigué, les animaux mêmes sont pour la plupart issus de croisements décidés par l'homme et il n'est pas jusqu'au climat qui ne soit actuellement la conséquence de notre activisme technique. Réciproquement, un objet technique est toujours produit à partir d'une matière première issue de la nature. Davantage même, il ne fonctionne que grâce aux lois de cette nature, à tel point, comme le disait déjà Descartes, que c'est la loi de la gravitation qui permet à l'horloge, en entraînant ses poids, d'indiquer l'heure. Comment alors penser la relation entre nature et technique ? Suffit-il de les opposer et de les définir simplement comme étant chacune le contraire de l'autre ? Car enfin, définir les contraires par les contraires, c'est ne rien définir du tout : dire que la lumière est