La vie est un roman
Article à paraître dans les actes du colloque Hugo et le romanesque, Université d’Amiens, Centre d’études du Roman et du Romanesque, s.l.d. Agnès Spiquel, Minard, série Etudes Romanesques.
La vie est un roman : le travail du romanesque dans le Victor Hugo raconté par Adèle Hugo
Les lecteurs de roman et les lecteurs d’autobiographie — ce sont parfois les mêmes — ont des perversions symétriques: les premiers s’amusent à deviner la part de projection du romancier dans ses héros fictifs, les seconds soupçonnent à plaisir les tentations de l’autobiographe à affabuler. Dans les deux cas, qu’on se demande ce que Stendhal a peint de lui-même dans Julien Sorel, ou inversement qu’on débusque les exagérations épiques dont Malraux avoue lui-même farcir ses Antimémoires, le plaisir est le même : celui du jeu plus ou moins conscient avec les lois du genre, en l’occurrence avec le pacte référentiel ou fictionnel. La définition de ce cadre générique, qui incombe à l’auteur, est, on le sait, absolument nécessaire à l’acte de lecture. De ce jeu du biographique avec le romanesque, le Victor Hugo raconté par Adèle Hugo offre un exemple particulier. On a depuis longtemps repéré les hésitations génériques de ce texte, dont la genèse est maintenant bien connue: en 1863 paraît chez Lacroix, sans nom d’auteur, un livre intitulé Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie. La presse lève aussitôt l’anonymat : le témoin, c’est la femme du grand homme, Adèle. Cette dernière a fourni le texte de base, récit biographique composé à partir de sources diverses : mémoires de son beau-père, de son propre père, carnets de sa bellemère, correspondance familiale, documents officiels, et surtout souvenirs de son mari recueillis pendant les longues soirées d’exil, sous forme de conversations prises en note. Adèle conçoit son projet dès le début de l’exil, en 1852, et écrit son texte sous forme de brouillons