L'ÉPREUVE – Marivaux SCÈNE XXI LUCIDOR, ANGÉLIQUE Lucidor. -Vous pleurez, Angélique ? Angélique. - C'est que ma mère sera fâchée ; et puis j'ai eu assez de confusion pour cela. Lucidor. - A l'égard de votre mère, ne vous en inquiétez pas ; je la clamerai ; mais me laisserez-vous la douleur de n'avoir pu vous rendre heureuse ? Angélique. - Oh ! voilà qui est fini ; je ne veux rien d'un homme qui m'a donné le renom que je l'aimais toute seule. Lucidor. - Je ne suis pont l'auteur des idées qu'on a eues là-dessus. Angélique. - On ne m'a point entendue me vanter que vous m'aimiez, quoique je l'eusse pu croire aussi bien que vous, après toutes les amitiés et toutes les manières que vous avez eues pour moi depuis que vous êtes ici ; je n'ai pourtant pas abusé de cela. Vous n'en avez pas agi de même, et je suis dupe de ma bonne foi. Lucidor. - Quand vous auriez pensé que je vous aimais, quand vous m'auriez cru pénétré de l'amour le plus tendre, vous ne vous seriez pas trompée. ( Angélique ici redouble ses pleurs et sanglote davantage. ) et pour achever de vous ouvrir mon cœur, je vous avoue que je vous adore, Angélique. Angélique. - Je n'en sais rien ; mais si jamais je viens à aimer quelqu'un, ce ne sera pas moi qui lui chercherai des filles en mariage ; je le laisserai plutôt mourir garçon. Lucidor. - Hélas ! Angélique, sans la haine que vous m'avez déclarée, et qui m'a paru si vraie, si naturelle, j'allais me proposer moi-même. Mais qu'avez-vous donc encore à soupirer ? Angélique. - Vous dites que je vous hais ; n'ai-je pas raison ? Quand il n'y aurait que ce portrait de Paris qui est dans votre poche. Lucidor. - Ce portrait n'est qu'une feinte ; c'est celui d'une soeur que j'ai. Angélique. - Je ne pouvais pas deviner. Lucidor. - Le voici, Angélique ; et je vous le donne. Angélique. - Qu'en ferais-je, si vous n'y êtes plus ? Un portrait ne guérit de rien. Lucidor. - Et si je restais, si je vous demandais votre main, si nous ne nous quittions de la vie ? Angélique. -