Laurent gaudé - la garde de la vénus
Cris
Texte de Laurent Gaudé
I LA RELÈVE DE LA VIELLE GARDE JULES
Je marche.
Je connais le chemin.
C’est mon pays ici.
Je marche.
Sans lever la tête.
Sans croiser le regard de ceux que je dépasse.
Ne rien dire à personne.
Ne pas se soucier, non plus, de ce sifflement dans l’oreille.
Cela passera.
Il faut marcher.
Tête baissée.
Je connais le chemin par cœur.
Je me faufile sans bousculer personne.
Le petit papier bleu au fond de ma poche. …afficher plus de contenu…
Et ce sera mieux ainsi.
Je me souviens que la dernière fois, ce qui m’avait le plus frappé, c’étaient les femmes dans la rue.
Partout.
Tout habillées.
Toutes parfumées.
J’avais oublié.
Je les regardais toutes.
Et tout au fond de moi naissait un désir que j’avais oublié.
C’était comme si mon sexe avait dormi pendant des mois et qu’il se réveillait d’un coup.
Je ne me souvenais plus de la sensation que cela faisait de sentir son sexe.
Comme une partie de son corps.
La plus vivante, la plus chaude, la plus tendue.
J’avais oublié à force de ne m’en servir que pour pisser que l’on pouvait bander.
Je regardais toutes ces femmes.
Et je faisais tout pour ne pas quitter du regard
leur …afficher plus de contenu…
Le temps a passé, Jules.
Tu es vieux de milliers d’années.
Tu es vieux des tranchées.
Un homme qui a appris à tuer, un homme qui a tenu un fusil, qui a dû se plier aux règles de la peur et de la survie sauvage comme tu l’as fait, sait-il encore s’occuper d’une femme ?
Les seules étreintes d’aussi loin que tu te souviennes, sont des étreintes de mort.
Tu es allé trop loin et tu ne pourras pas revenir.
Tu n’es plus un homme, Jules, tu n’es plus un home, tu es une bête fauve qui veut manger par la bouche, manger par le sexe, et boire toute la nuit. LIEUTENANT RÉNIER
Je n’avais jamais pensé voir cela.
Et personne jamais ne m’avait préparé à cela.
Pourtant de la guerre, je sais bien des choses.
Je connais le nom de toutes les armes,