Le baiser a la derobée
Le XVIII° siècle raffolera de ce type de situations où s’élaborent les faux-fuyants, et d’où sourdent les quiproquos. Paravents, rideaux levés et portes entre baillées marquent des espaces aux frontières changeantes. Ces trucs et trucages n’ont de cesse, évidemment, de favoriser les intrigues amoureuses où la contagion du "plaisir et du trouble nous vaut des postures tendues, voire déséquilibrées (qu’on se reporte au Verrou).
Véritable entre-deux, la scène proprement dite se déploie en cette zone délimitée par deux portes dont on voit bien qu’elles débouchent sur des à-côtés qui sont autant de « "gisements de narrativité". Ces portes et les échappées qu’elles permettent restreignent d’autant la place accordée aux deux amants, mais donnent au peintre, en revanche, l’occasion de dire brillamment comment le désir sait tirer parti du moindre intervalle : alors que la jouvencelle se laisse embrasser, le pied du garçon, déjà, mord sur la somptueuse mais bien encombrante robe.
La belle, qui s’est échappée du salon a dû prendre sur elle-même, à savoir « remonter » en direction du jouvenceau, tandis qu’en aval (là où se trouvent les joueurs de cartes) le devoir social et ses convenances pèsent de tout leur poids. Faut-il voir, dès lors, dans ce tissu rayé que tire la fille l’expression du déroulement "réticent" de l’action arrivée, malgré tout, à son terme ? Le mouvement des étoffes -le plissé du vêtement féminin, la torsion des rideaux- participe du léger désordre présidant à cette rencontre amoureuse. La gorge un rien découverte de la jeune fille, dont l’équivalent mobilier paraît se situer dans le fouillis de rubans