Le Bateau Ivre
Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées;Mon paletot soudain devenait idéal;J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal;Oh! Là là! Que d'amours splendides j'ai rêvées!
Mon unique culotte avait un large trou.Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma courseDes rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttesDe rosée à mon front, comme un vin de vigueur;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,Comme des lyres, je tirais les élastiquesDe mes souliers blessés, un pied près de mon cœur!
Comme je descendais des Fleuves impassibles,Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.J'étais insoucieux de tous les équipages,Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.Dans les clapotements furieux des marées,Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,Je courus ! Et les Péninsules démarréesN'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.La tempête a béni mes éveils maritimes.Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flotsQu'on appelle rouleurs éternels de victimes,Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,L'eau verte pénétra ma coque de sapinEt des taches de vins bleus et des vomissuresMe lava, dispersant gouvernail et grappin.Et dès lors, je me suis baigné dans le PoèmeDe la Mer, infusé d'astres, et lactescent,Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blêmeEt ravie, un noyé pensif parfois descend ;Où, teignant tout à coup les bleuités, déliresEt rythmes lents sous les rutilements du jour,Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,Fermentent les rousseurs amères de l'amour !Je sais les cieux crevant en éclairs, et les