Le chat noir
de Edgar Allan Poe
1843
Au récit le plus fou et pourtant le plus banal que je m’apprête à écrire, je n’attends ni ne demande nulle créance. Je serais fou de m’y attendre, dans une affaire où mes sens eux-mêmes réfutent leur propre témoignage. Pourtant, je ne suis pas fou et je ne rêve sûrement pas. Mais si demain je meurs, aujourd’hui je voudrais libérer mon âme de ce fardeau. Mon premier objectif est de présenter au monde, simplement, succintement, et sans commentaires, une série de simples événements domestiques. Dans leurs conséquences, ces événements m’ont terrifié, torturé, détruit. Je n’essaierai pourtant pas de les expliquer. Pour moi, ils n’ont été qu’horribles, pour beaucoup ils sembleront plus baroques qu’effrayants. Après, peut-être, il se trouvera des esprits qui réduiront mon fantasme à des choses ordinaires - des esprits plus calmes, plus logiques, et beaucoup moins excitables que le mien, qui percevront, dans les circonstances que je détaille avec effroi, rien de plus qu’une succession ordinaire de causes et d’effets très naturels.
Depuis mon enfance, je me fis remarquer par ma docilité et l’humanité de mon caractère. La tendresse de mon coeur était même si manifeste qu’elle fut l’objet des railleries de mes camarades. J’étais particulièrement amoureux des animaux, et mes parents m’offrirent une grande variété d’animaux de compagnie. Je passais avec eux la plus grande partie de mn temps, et rien ne me procurait plus de bonheur que de les nourrir et de les caresser. Ce trait de mon caractère s’affirma avec l’âge, et dans ma vie d’homme, j’en tirai une de mes principales sources de plaisir. A ceux qui ont nourri une affection pour un chien fidèle et sagace, je n’ai nul besoin d’expliquer la nature ou l’intensité de la gratification que l’on peut en tirer. Il y a quelque chose dans l’amour désintéressé et auto-sacrificiel d’une bête, qui va directement au coeur de celui qui a eu fréquemment l’occasion de tester l’amitié mesquine et